Mode / La mode sera éthique, bio, solidaire, équitable, responsable, zen

Publié le par Shana

Courrier international - supplément au n° 831 - 5 oct. 2006
Mode / La mode sera éthique, bio, solidaire, équitable, responsable, zen
Nouveau credo : l’authenticité
Nourriture, mode, habitat… nous voulons de plus en plus que les choses qui nous environnent soient “vraies”. Une tendance dont les entreprises commencent à tenir compte.

De nos jours, difficile de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Les hommes politiques nous trompent, les entreprises étouffent leurs méfaits sous d’ineptes opérations de relations publiques, le logiciel Photoshop a fait du truquage de photos un jeu d’enfant, les implants mammaires et les liftings sont devenus monnaie courante.
Rien de bien nouveau dans tout cela. La seule différence, aujourd’hui, c’est que de puissants moyens technologiques permettent de manipuler la réalité et de propager le mensonge à une échelle jusque-là inédite.

Face à un tel déferlement, on est tenté de verser dans le cynisme. Mais, au lieu de baisser les bras et d’accepter un monde manifestement trompeur, nous sommes nombreux à retrousser nos manches, déterminés à préserver ce qu’il reste d’honnête dans notre vie. Le sociologue américain Paul Ray y voit une évolution sociale historique : “Il y a une très forte demande d’authenticité, de nos jours”, assure-t-il.

Le chercheur s’est passionné pour le sujet après avoir étudié une frange significative de la population, les “créateurs culturels”, qu’on peut définir par leurs valeurs communes en matière d’environnement, de justice sociale, d’expression créative et d’épanouissement personnel. Après s’être longuement entretenu avec nombre d’entre eux, Paul Ray a découvert un autre trait distinctif commun à tous les créateurs culturels : le goût de l’authenticité. Ou comment vivre de manière à ce que “l’être intime corresponde à l’être public”, explique le sociologue.

Le Britannique David Boyle, journaliste chevronné et chasseur de tendances, constate lui aussi l’émergence d’une nouvelle sensibilité fondée sur “un rejet prononcé du faux, du virtuel, du fabriqué et de la production de masse”. Ce désir croissant d’authenticité a participé à l’essor récent des produits bio et régionaux, de la médecine holiste [qui consiste à traiter la personne dans son ensemble et non un organe ou une pathologie donnés] et des entreprises socialement responsables. A ses yeux, le succès du duo de blues rock The White Stripes [Etats-Unis], le renouveau des lectures de poésie en public au Royaume-Uni ou le succès des tissus vintage de la styliste Stella McCartney sont autant de symptômes d’une prochaine “révolution de l’authenticité”.

Dans son dernier ouvrage*, David Boyle recense neuf adjectifs qui portent notre soif d’authentique : éthique, naturel, honnête, simple, non fabriqué, durable, beau, enraciné et humain.

Partout, des individus font des choix qu’on aurait jugés surprenants il y a encore très peu de temps. Par exemple, renoncer à des vacances confortables pour se lancer dans une expédition d’écotourisme ou faire du bénévolat dans une association caritative ; oublier les grands magasins au profit des boutiques d’occasion ou d’artisanat et trouver des meubles et des vêtements originaux ; participer à la renaissance d’un vieux quartier au lieu d’acheter une maison neuve en banlieue ; quitter les sentiers battus d’une carrière de haut vol pour un emploi moins bien rémunéré mais plus enrichissant sur le plan humain.
“Les gens sont beaucoup plus conscients de leurs contradictions que la génération précédente, fait remarquer David Boyle. Les entreprises le savent, mais il est difficile d’être vraiment authentique quand on est un grand groupe mondial et virtuel.”

Si la tâche n’est pas aisée, l’authenticité représente néanmoins la voie la plus sage et la plus prometteuse pour le monde de l’entreprise, insiste Neil Crofts, ancien cadre dans l’édition, spécialiste en stratégie d’entreprise et fondateur du site Authentic Business (www.authenticbusiness.co.uk). Pour lui, la clé du business authentique, comme de la vie authentique, consiste à accepter que certaines choses comptent plus que l’argent. “Qui a dit que le monde des affaires devait nécessairement être impitoyable, concurrentiel et corrompu ? demande-t-il. Le commerce existe pour répondre aux besoins de la société.”
Patagonia, le fabricant de vêtements et de matériel de sport, est, pour Neil Crofts, un modèle en la matière. “Ce ne sont pas des clients qu’a cette société, mais des fans.”

Certains grands débats actuels prennent une tout autre tournure quand on les regarde à travers le prisme de l’authenticité. Ainsi considérée, la polémique autour des droits et du mariage homosexuels apparaît non plus simplement comme un enjeu moral, mais comme un débat sur la question de savoir si l’individu doit assumer ou réprimer ses sentiments authentiques. De même, les mouvements – en pleine renaissance – en faveur des droits de l’homme, de la justice internationale et de la protection de l’environnement sont tous animés par des individus qui ne veulent plus cacher leurs sentiments envers le monde qui les entoure. Et maintenant le thème de l’authentique touche aussi le business.

“L’authenticité s’impose parce que nous y sommes prêts”, conclut Paul Ray. Sans doute, comme le souligne Neil Crofts, parce que cette quête correspond à une nouvelle forme d’expression spirituelle dans une société qui connaît une énorme crise du sens.

* Authenticity : Brands, Fakes, Spin and the Lust for Real Life [Authenticité : marques, truquages, montages et la soif de vivre vrai].

(Ode Magazine, Tiburon)
Jay Walljasper

Publié dans News

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